C’est dans la grande et magnifique salle Carthage I du Palace Carthage Thalasso, Tunis Nord (Palace des « Mille Et Une Tunisie » pourrait-on dire), que se produisait ce mardi 10 avril le grand saxophoniste Branford Marsalis. Dans l’exercice difficile du duo sax-piano.
Mais l’absence de basse et de batterie ne fut heureusement pas un handicap, tant l’empathie entre le saxophoniste et son complice, le pianiste Joey Calderazzo, fut de tous les instants.
Et si l’on doit utiliser un seul terme pour qualifier leur prestation, ce sera : densité. Densité du jeu de Branford, au saxophone ténor surtout. Et particulièrement sur le premier morceau lent du concert, où sa sonorité pleine de tendresse faisait penser à quelque chose entre John Coltrane et Wayne Shorter.
Densité du jeu de Joey, plus spécialement sur le morceau rapide du rappel où son phrasé compact me fit un instant penser à Lennie Tristano, ce pianiste de légende bien trop sous-estimé.Et si l’on parle de sous -estimation, laissez-moi vous dire que Branford Marsalis est à Joshua Redman ce que Charlie Haden est à Esperanza spalding. Car disons-le tout net, Branford Marsalis est très probablement le meilleur saxophoniste ténor actuel, si l’on excepte Sonny Rollins le Roc et Wayne Shorter l’Extraterrestre. Tout comme Kenny Garrett me semble être le meilleur saxophoniste alto.
Un concert, donc, qui se méritait. Et les réactions spontanément enthousiastes du public attentif en furent la preuve. Grande idée que d’avoir programmé ce duo d’exception.Le jazz est un langage universel et seuls les hommes mettent des frontières entre les peuples et leurs cultures. Le saxophoniste Albert Ayler disait « Music is the healing force of the Universe » (la musique est la force qui peut guérir le monde), Dieu l’entende.
À toutes fins inutiles (sic) rappelons que Branford Marsalis fit ses classes au sein des mythiques Jazz Messengers d’Art Blakey, comme tant d’autres. Et qu’il joua avec Dizzy Gillespie et Miles Davis, excusez du peu, avant de se frotter à l’univers de Monsieur Sting et au rap de Gangstarr. De formation classique comme son frère Wynton, il interprète aussi bien la musique symphonique d’un Claude Debussy par exemple, que le jazz moderne le plus inventif. Le duo qui nous fut présenté hier soir tient du miracle pur et simple entre deux humanités. De Marsalis, Joey dit u’il est brillantissime et de Calderazzo, Branford dit qu’il ne jouerait pas avec un autre pianiste que lui.
FRANK SALIS H30
En première partie,
il nous fut donné de rencontrer un quartet venu du Tessin, Suisse.
Contraste saisissant avec notre duo, il s’agissait ici de « viande
saignante », de pur « rentre-dedans » ! Du vrai Rhythm and Blues sous la
protection bienveillante des Ray Charles, Horace Silver et Jimmy Smith
par exemple. Ce groupe formé de Frank (claviers ), Marco Nevano (sax),
Sandro Scheebeli (guitare) et Rocco Lombardi (batterie), nous administra
une leçon de bonne humeur communicative. Je me suis même pris à rêver
des quartets qui réjouissaient mon adolescence, comme ceux où jouaient
ceux que l’on appelait les « ténors velus », les Red Prysock, Red
Holloway. « Red », chauffés au rouge, ils l’étaient aussi nos vaillants
transalpins !
Une très bonne entrée e matière à une soirée réussie.
Michel Delorme